Je suis un produit de l’écriture. Je suis née dedans, j’y ai grandi, je m’en suis nourrie et aujourd’hui j’en vis. Mes journées sont rythmées par ce stylo noir, qui crépite sur le papier et donne aux formes leur sens. Pas un jour sans mots signifiés, sensés, où je traduis les pensées et les transforme en mots concrets. La plupart du temps entre deux chapitres, deux paragraphes, je m’échappe de la frontière de l’écrit et me réfugie dans le dessin.

Ce que je ne peux pas dire, je l’écris. Ce que je ne peux pas écrire, je le dessine.
Comme une prolongation de mon activité, une continuité de mon poignet, l’art s’est imposé comme une liberté. Liberté des mots, leur sens et leur essence.
Ces petites veines, telles des petites tranchées qui s’entremêlent, se débinent progressivement, minutieusement, elles se dépouillent et jaillissent de l’instinct
pour échapper à la signification. Une fois dé-sensées, elles restent pourtant contrôlées, précises et encadrées, malgré le jeu entre le cadre, la limite et l’illimité.

Le langage

Attirée sans cesse par l’Autre, j’ai vite eu besoin de trouver des moyens de communiquer avec, d’où qu’il vienne, quoi qu’il parle. Devenue Israélienne, je voyage désormais entre plusieurs langues, je suis dans l’entre-deux-expressions.

Je pense le français, je le vis ; c’est ma langue viscérale, maternelle. L’hébreu est ma langue de cœur, il m’anime, il m’émeut. L’anglais est ma langue-outil. Il me permet de communiquer platoniquement, sans émotion, ni sentiment, mais clairement.

L’art me permet d’échapper à ces frontières émotionnelles et d’usage. Toutes ces langues me constituent, je jongle de l’une à l’autre, d’une frustration à l’autre car le sens ne jaillit jamais comme il doit être. Lorsque je peins, c’est à la fois viscéralement (français), méthodiquement (anglais) et émotionnellement (hébreu) que je trace ce que je ressens.

Le sens des mots, leurs traductions, le vocabulaire, les synonymes de chaque langue me fascine depuis toujours. Une fois que l’on dénude les mots de leur sens, qu’on les déconnote, que reste-il ? Leur forme. Déconnecté de tout processus de lecture, chacun – en langues différentes- peut enfin me lire.

J’explore la forme esthétique des mots en peignant, comme j’explore leur littérarité en écrivant.

Je recherche ces mots qu’enfant je voyais sans pouvoir les déchiffrer. Ces mots formés, que je trouvais beaux et bien faits, je les imaginais plein d’histoires que j’étais libre d’inventer puisque je ne lisais pas. Je « jouais aux mots » comme pour « jouer aux grands » ou « jouer à Papa ». Fille d’écrivain, j’imaginais que si moi aussi je pouvais reproduire ces petites formes noires sur papiers blancs, je pouvais alors me rapprocher de mon Papa, ou de ce qu’il était. Un écrivain.

Noir et blanc
Comme dans un livre, noir sur blanc, mais sans langage ni lecture requise. Un livre que l’on comprendrait sans avoir à le déchiffrer. Lorsque je passe de l’écriture à la peinture, je me rapproche de l’état d’enfant. Plus de règle, plus de compréhension exigée et exigeante. Seule l’esthétique, le jeu, l’ambiguïté et la curiosité m’importe. J’écris alors sans vouloir dire, ou plutôt je dé-écris, et
laisse à l’autre la liberté de lire ce qu’il veut lire, peu importe la langue qu’il parle et comprend.

Couleurs
La couleur apparait souvent comme un jet, une pulsion, presque comme une intrusion. Au début je trouvais la couleur facile, parfois même agressive, puis elle s’est avérée nécessaire. Elle semble défier et broyer le noir ; elle lui tient tête. J’aime l’infinité de ses possibles. Imposante par nature ; c’est volontairement que je la met parfois en second plan, comme une figure de
rappel, une ouverture, qui dialogue avec mon premier choix, le noir.

Dé-rationaliser l’écriture, la dé-senser, la dépouiller. L’explorer et la libérer pour la faire parler pleinement, autrement, à travers l’art.


Dé-rationaliser l’écriture, la dé-senser, la dépouiller. L’explorer et la libérer pour la faire parler pleinement, autrement, à travers l’art.

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